Je crois que beaucoup de personnes se font des idées à propos de ce qu'ils croient que j'ai vécu. Mais je crois également que personne ne sait vraiment comment j'ai vécu les choses qui ont forgé mon caractère et ma façon de voir le monde.

Mon nom ? Alice. Alice Kingsleigh. Mon monde n'était pas si différent que ce que les humains connaissaient du leur en 1800 et quelques. Je suis née dans une sorte de simili-Angleterre, dans une famille riche de la bourgeoisie anglaise. Des débuts prometteurs, dans ce monde. Ma mère était une femme en tout point respectable, mais à l'esprit tellement étroit que je me demande encore comment mon père a pu tomber amoureux d'elle. Oh, elle avait bien des qualités, j'en conviens. Mais aucune fantaisie. Alors que mon père, lui, était un homme à l'imagination sans limite, sans frontière. Un homme que j'admirais de tout mon être et avec lequel j'avais une relation profondément fusionnelle. Mon père était l'homme de ma vie. Le vrai héro de mon existence. Je l'aimais, oh oui. Je l'aimais d'un amour inconditionnel. Il était tout, à mes yeux. Absolument tout. Et, enfant, je passais le plus clair de mon temps à essayer d'attirer son attention par tous les moyens. Chose que j'arrivais à faire très souvent, en lui arrachant des sourires qui me faisaient fondre de bonheur. J'avais également une grande sœur, Margaret. Grande sœur protectrice, qui ressemblait autant à ma mère que ce que je pouvais ressembler à mon père. Mais je l'aimais profondément, elle aussi.

D'ailleurs, tout commença réellement pour moi le jour où, alors que Margaret me donnait ma leçon d'histoire, je rêvassais sur une branche d'arbre en jouant avec Dinah, mon chat. Saviez-vous à quel point l'histoire, racontée de façon monotone, pouvait être un sujet barbant pour une petite fille de huit ans ? Mon esprit ne pouvait pas se concentrer sur ça. Oh que le monde des adultes me semblait bien triste, déjà, à ce moment très précis de ma vie. Je rêvais d'absurdités. Non ! De divagations. Oui, je rêvais d'un monde fait de divagations, où l'on ne pouvait pas s'ennuyer une seule seconde. Je rêvais d'aventures, et non de savoir ce qui s'était passé en Angleterre. Et, alors que j'étais prise dans mes rêveries et dans la fabrication du monde de mes rêves, savez-vous ce qui est passé sous mon nez ? Bien sûr que vous le savez. Le fameux Lapin Blanc. Lapin vêtu d'un gilet et qui tenait une montre à gousset en répétant « En r'tard ! En r'tard ! » Il n'en fallut pas plus pour titiller ma curiosité et pour me forcer à le suivre aussitôt. Je me posais mille questions, et voulait mille réponses !

Et c'est ainsi que je tomba dans le terrier du Lapin Blanc. Et ensuite ? Ce fut une suite de rencontres loufoques et dénouées du moindre sens. Oh que je m'en suis voulu, lors de ma première visite au Pays des Merveilles, d'avoir fait preuve d'autant de curiosité ! Imaginez ; je n'étais qu'une enfant ! Une enfant que l'on faisait grandir et rapetisser, une enfant qui se retrouvait perdue dans un endroit totalement inconnu dans lequel toute forme de logique semblait totalement inexistante. C'est ainsi que je fis pour la première fois la rencontre du Chat de Cheshire, du Chapelier Fou, du Lièvre de Mars, des Tweedles, des fleurs insupportables, du Loir, d'Absolem et tant et tant de personnages que j'en étais totalement ébahie. Et cet endroit ! Magnifique et effrayant à la fois. Un endroit où les animaux parlaient, où l'heure du thé était éternelle... Pourtant, cette première fois, je me souviens très clairement que je voulais rentrer chez moi. J'étais déboussolée, à tel point que je ne savais même plus qui j'étais. Je me posais cette question en boucle ; étais-je toujours Alice ? Bien sûr que je l'étais. Mais rien n'était moins sûr, à mes yeux, à ce moment là. Et puis, je fini par tomber sur le château de la Reine de Cœur. Quelle femme... détestable ! Elle m'invita à faire une partie de croquet. Mais naturellement, ce n'était pas le genre de croquet auquel j'étais habituée à jouer. Les arceaux étaient fait par les cartes – au demeurant transformées en garde de la Reine – et bougeaient sans cesse pour faire gagner sa Majesté. Les maillets étaient des flamands roses pas toujours roses. Quant aux boules ? Je vous laisse deviner... Eeeh. Oui. Des hérissons, absolument ! Et après tout ça, à cause d'une mauvaise blague du Chat de Cheshire, je manqua de me faire couper la tête sans autre forme de procès. Oh ! Le procès ! Parlons-en, d'ailleurs ! La sentence d'abord, disait la Reine. Mais, fort heureusement, j'ai réussi à m'échapper avant que celle-ci ne soit faite pour me réveiller auprès de l'arbre, face à Margaret visiblement agacée par mon comportement.

Et, pendant très longtemps, j'ai cru que tout ceci n'avait été qu'un rêve. Un rêve qui revenait me hanter chaque nuit, me donnant la sensation de devenir folle. Mon père, d'ailleurs, me confirma que je l'étais. Tout en ajoutant que, de son point de vue, la plupart des gens bien l'étaient. Et cette pensée m'aida à grandir malgré le fait que je n'étais pas vraiment comme les autres. Non, je ne pensais pas à me marier et à fonder une famille. Je refusais les codes vestimentaires qui m'indisposaient. Je refusais les codes sociaux que je trouvais souvent bien trop hypocrites. Mon père perdit la vie lorsque j'étais adolescente, presque jeune femme. Ce fut la chose la plus douloureuse que j'eus à vivre de mon existence entière. En le perdant, j'avais perdu mon principal repère, mon principal allié, mon principal ami... J'avais perdu la moitié de moi-même. Jamais de toute mon existence, je ne me suis sentie aussi seule qu'à la mort de mon père. Et pendant les années qui suivirent. Et, lorsque j'arrivais à mes 19 ans, ma mère me fit la « surprise » de préparer mes fiançailles dans mon dos. Avec Lord Hamish Ascot, s'il vous plaît. Jeune homme dont les problèmes gastriques m'intéressaient autant que sa personnalité ; absolument pas. Et, lorsque arrivée au moment fatidique où je devais répondre « oui » à sa demande en mariage devant tout le monde sans en avoir la moindre envie, le Lapin Blanc apparut à mes yeux, il attira toute mon attention. Et plantant là mon fiancé et nos convives, je m'élançais – une nouvelle fois – à la poursuite de l'animal porteur d'une montre à gousset.

Ce second voyage au Pays des Merveilles m'apprit plusieurs choses essentielles. D'une part, cela m'apprit que l'impossible était possible. D'une autre part, ça m'apprit que je n'étais pas folle et que cet endroit qui avait hanté mon enfance existait bel et bien. Ça m'apprit aussi que je n'avais qu'une seule vie, et qu'il fallait que je fasse ce que je voulais de celle-ci si je voulais être heureuse. Le Pays des Merveilles n'avait plus rien de l'endroit fantastique et coloré que j'avais découvert, enfant. La Reine Rouge avait tout détruit, reprit le pouvoir et imposé une règne de terreur. Les têtes tombaient. La peur avait remplacé la folie. Et, apparemment, j'étais leur Champion. Celle qui pouvait arrêter tout ça. Celle qui devait tuer le Jabberwocky de la Reine Rouge au jour frabieux. Il y eut tout un débat sur la grande question « Étais-je la vraie Alice ? » et je fini par prouver que j'étais vraiment ce Champion qu'ils attendaient. Grâce au Chapelier, qui me rappela qui j'étais et de quoi j'étais capable, quand je ne croyais pas assez en moi pour avoir toute ma « plussoyance » comme il le disait si bien. Et ce fut Absolem qui m'aida à prendre ma décision, peu après que j'eus sauvé le Chapelier qui s'était fait capturer par la Reine Rouge pour me protéger et que j'eus récupérer l'épée Vorpaline qui me permettrait de tuer le Jabberwocky. Il fallait sauver le Pays des Merveilles. Et c'était à moi de le faire. Rien n'aurait pu me préparer à ce qui m'attendait. Rien. Le Jabberwocky était effrayant, gigantesque et le battre me semblait impossible, avant que je me rappelle un petit exercice que faisait mon père chaque matin. Commencer sa journée en énumérant six choses impossibles. Ma sixième chose était que je tuerai le Jabberwocky. Et, je le fis. Non sans mal. Mais avec courage et détermination. D'un coup d'épée, je sépara sa tête de son corps et libéra par la même occasion le Pays des Merveilles du règne tyrannique de la Reine Rouge qui fut bannie. Après tout cela, je n'avais aucune envie de rentrer chez moi. Encore moins lorsque le regard du Chapelier glissa sur moi avec toute la tristesse du monde. Mon cœur s'était serré, et je n'avais eu qu'une envie ; l'embrasser et rester prêt de lui pour toujours. Mais je ne pouvais pas. Quelque part, dans cette Angleterre lointaine, un Lord attendait ma réponse pour faire de moi ou non son épouse. Et je lui devais bien une explication. De plus, une ambition nouvelle était née dans mon esprit. J'avais des choses à régler dans cet autre monde...

Après un dernier au-revoir à toutes ces personnes qui étaient devenues ma vraie famille, en quelque sorte, je fini par rentrer en Angleterre, par refuser la demande en mariage de Hamish et par suivre la voie professionnelle de mon père en devenant l'associée et l'apprentie de son bon ami Lord Ascot, à défaut de devenir sa belle-fille. Ainsi, j'étendis le commerce qu'ils avaient monté avec mon père à l'international, et voyagea aux côtés de mon ami et patron. Ce fut Lord Ascot qui m'invita à participer à la croisière, pour me remercier de tous les efforts que je fournissais pour l'entreprise. Si j'avais accepté, c'est parce que l'espoir de pouvoir retrouver les habitants du Pays des Merveilles sur le bateau m'animait... Et, tout se passa exactement comme dans mes rêves, jusqu'à cette fameuse nuit. Que s'était-il passé, exactement ? Je ne le sais pas. Mais je le découvrirais...